L’édition de mai 2022 de la veille de recherche en enseignement supérieur abordera les sujets suivants :

1. Évaluation comparative du financement des universités : tour d’horizon de l’Europe, du Canada et des États-Unis

2. Étude systématique des impacts du financement à la performance chez les universités américaines

3. Quels sont les impacts des community colleges sur leur environnement économique et social ?

4. Le lien entre les étudiants internationaux et le financement universitaire

5. La future baisse du bassin étudiant universitaire : le cas de la Taiwan

Bonne lecture ! Nous vous rappelons que vous pouvez également accéder aux précédentes éditions de la veille en cliquant ici.

Évaluation comparative du financement des universités : Colombie-Britannique, Danemark, France, Ontario, Norvège, Royaume-Uni et certains États américains

Le Groupe de recherche en économie publique appliquée (GREPA) a publié récemment un rapport effectuant une analyse comparative des modes de financement de huit juridictions, soit la Colombie-Britannique, l’Ontario, les établissements américains de la « Ivy League », la France, la Norvège, le Danemark et le Royaume-Uni. Ces juridictions sont explicitement mentionnées comme objet d’étude à l’appel d’intérêt conjointement élaboré du Ministère de l’Enseignement supérieur et des Fonds de recherche du Québec.

Ce rapport discute du financement des universités à travers deux paradigmes. Le premier consiste à décrire et analyser les modes de financement à la performance identifiés dans les juridictions de l’appel d’intérêt tout en prodiguant des recommandations quant à ces approches. Le second paradigme revêt une dimension normative et cherche plutôt à évaluer si le financement à la performance est quelque chose de désirable. Devrait-on financer les établissements à la performance ? Et, en guise de question de fond, qu’entend-on par « performance universitaire » ?

Le rapport conclue en donnant quelques recommandations, soit de rejoindre le niveau de financement du Danemark ou du Royaume-Uni, de réduire le pourcentage de financement dépendant des inscriptions étudiantes afin d’augmenter le financement inconditionnel, d’agir de façon prudente lors de l’implantation de financement à la performance, de prendre en compte des effets redistributifs lors d’une réforme à la formule de financement, de même que de mettre sur pied une base de données regroupées, systématisées et accessibles aux chercheurs quant au système universitaire québécois.

Le rapport complet est disponible ici.

Étude systématique des impacts du financement à la performance chez les universités américaines

Ortagus, Kelchen, Rosinger, et Voorhees (2020) ont effectué une synthèse systématique de 52 articles publiés entre 1998 et 2020 portant sur le financement à la performance implanté dans des universités américaines. Leur objectif était de relever les conséquences d’un tel mode de financement, autant celles souhaitées que celles induites involontairement.

Le principe du financement à la performance consiste à faire dépendre une partie ou l’ensemble du financement d’une institution à l’atteinte d’un objectif. En ce qui concerne les universités, l’objectif est d’améliorer l’output institutionnel tel que le nombre de diplômés et la durée moyenne des études, avec parfois des cibles visant l’équité (ex: le nombre de diplômés provenant de familles à faible revenu). Ce type de financement est de plus en plus répandu chez les universités américaines : 41 États ont adopté dans les 20 dernières années un certain degré de financement à la performance alors que seulement neuf n’en ont jamais intégré à leur système de financement.

Les auteurs ont noté que les études analysées montrent que l’effet de ce type de financement sur l’output des universités était en grande partie nul. Même dans les études les plus rigoureuses méthodologiquement (quasi-expérience), les seuls effets positifs, de taille modeste, se retrouvaient dans les politiques à la performance ciblant certains programmes seulement.

Les auteurs relèvent que les administrations publiques se préoccupent principalement de l’atteinte la plus rapide, la plus simple et la moins chère de la cible de performance, au détriment de méthodes qui aideraient véritablement les étudiants. Plusieurs études ont notamment constaté une hausse du nombre de diplômes dans des certifications de courte durée, alors qu’une baisse peut être notée dans les programmes d’associate degrees et de baccalauréats, de plus longue durée.

Les auteurs notent également que ce type de financement semble induire les universités à sélectionner de manière plus sévère leurs étudiants, en vue de prévenir l’abandon de leurs études. Cette manière de faire affecte de façon disproportionnée les étudiants venant de milieux plus défavorisés. Enfin, les auteurs relèvent que les collèges publics sont plus susceptibles d’être affectés négativement par un tel système de financement, étant donné qu’ils acceptent historiquement plus d’étudiants à risque de ne pas compléter leur éducation.

Pour en savoir plus :

Ortagus, J. C., Kelchen, R., Rosinger, K., & Voorhees, N. (2020). Performance-based funding in American higher education: A systematic synthesis of the intended and unintended consequences. Educational Evaluation and Policy Analysis, 42(4), 520-550.

Quels sont les impacts des community colleges sur leur environnement économique et social ?

Harmon, Bergeron et Johnson (2022) ont effectué une métasynthèse de 20 thèses doctorales publiées entre 2009 et 2020, qui portaient toutes sur le rôle des community colleges américains localisés hors des grands centres dans le développement de leur région respective, de même que leur impact sur le capital humain. Comme les auteurs le soulignent, les community colleges ont depuis leur création l’ambition de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur.

Les thèmes récurrents relatifs au développement du territoire, non spécifiquement lié à l’économie, soulignaient notamment le lien entre la communauté et le collège. Celui-ci contribue à créer une identité régionale face au territoire, à son histoire et aux spécialisations économiques de la région. Les auteurs notent que plusieurs thèses mettaient de l’avant le fait que les community colleges ont un impact positif général sur leur région. Ceux-ci permettent également d’agir en tant qu’instigateur de changement dans leur communauté.

En ce qui concerne le développement économique du milieu, les community colleges sont en mesure d’agir en tant que leader, particulièrement dans les actions conjointes avec les communautés autochtones locales. Ceux-ci contribuent également à la résilience de leur économie régionale, en étant en mesure d’agir rapidement et localement lorsque nécessaire et en ayant à cœur le développement de leur milieu.

Les thèses doctorales ont également montré que ces colleges joue un rôle dans le développement du capital humain, en appariant l’offre de formation aux besoins locaux. Plusieurs thèses notent que ces institutions agissent comme acteur de liaison entre leurs communautés et les besoins de formations : elles relèvent notamment l’importance des centres spéciaux de développement qui établissent des partenariats avec des entreprises du milieu.

Ce type de partenariats permettent d’approfondir les liens avec la communauté, sous la gouverne d’organisations formelles, mais aussi les relations plus informelles avec des acteurs clés liés à des industries de la région.

Pour en savoir plus :

Harmon, H. L., Bergeron Jr, L. J., & Johnson, J. D. (2022). Engaging Community Colleges in Rural Development: A Meta-Synthesis of Doctoral Dissertations. Community College Review, 00915521221087280.

Le lien entre les étudiants internationaux et le financement universitaire

Bound, Braga, Khanna et Turner (2020) ont étudié si la hausse du nombre d’étudiants internationaux acceptés par les universités américaines était liée à la baisse de leur financement provenant de l’État. Les auteurs empruntent une simple régression à moindres carrés ordinaires en prenant en compte les effets fixes spécifiques à l’État américain étudié de même que ceux de la période ciblée. Les auteurs tirent leurs données du Integrated Postsecondary Education Data System (IPEDS) ainsi que des services d’immigration américains.

Suite à leurs analyses, ils ont pu relever qu’une diminution des subventions gouvernementales allouées aux universités publiques spécialisées en recherche était associée à une hausse des admissions d’étudiants internationaux. Les auteurs ont pu évaluer qu’une diminution de 10% des crédits budgétaires était liée à une augmentation de 16% de la proportion des étudiants étrangers dans l’ensemble de la population étudiante de premier cycle. Le même constat ne pouvait pas être observé chez les universités publiques hors de ce champ spécialisé, ni chez les universités privées.

Les auteurs explorent par la suite les détails de l’émission de visa F, qui distingue les étudiants selon leur pays d’origine ainsi que le cycle auquel les étudiants s’inscrivent. Ils notent que la majorité de la relation négative obtenue provient des étudiants chinois : une diminution de 10% des crédits budgétaires est liée à une augmentation de 26% des inscriptions provenant de la Chine. En outre, les étudiants du deuxième cycle, qui paient leur scolarité dans sa totalité, contrairement aux candidats au niveau doctoral, ont une élasticité de -1,4.

Bound et al. notent que l’ajout de deux étudiants internationaux supplémentaires est associé à la perte d’un étudiant local. Les auteurs font toutefois la mention que ce dernier résultat n’est pas à interpréter de manière causale.

Enfin, les auteurs relèvent que les universités de recherche sont plus à même d’être épargnées lors de diminution de subventions gouvernementales, étant donné que leurs sources de revenus sont plus diversifiées, notamment en raison des étudiants internationaux.

Pour en savoir plus :

Bound, J., Braga, B., Khanna, G., & Turner, S. (2020). A Passage to America: University Funding and International Students. American Economic Journal: Economic Policy, 12(1), 97-126.

La future baisse du bassin étudiant universitaire : le cas de la Taiwan

Wu, Chang et Hu (2019) ont exploré la question de la diminution prévue des étudiants universitaires en raison d’une baisse dans le nombre de naissances, particulièrement aiguë à Taiwan. Utilisant des données de séries chronologiques disponibles depuis 1966, les auteurs cherchent à prédire l’impact des naissances, de même que l’évolution du nombre de personnes âgées de 18 ans, sur les inscriptions universitaires.

Afin de faire ces prédictions, Wu et al. empruntent un modèle ARIMAX et ARIMA. Les variables utilisées ont été fournies par l’État taiwanais, notamment le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Éducation. Les auteurs ont ainsi recouru au nombre de nouveau-nés annuellement, à la capacité des universités à admettre de nouveaux étudiants, au nombre de gens âgés de 18 ans pouvant décider d’aller à l’université et à l’écart entre ce dernier groupe et le nombre d’étudiants déjà inscrits à l’université. L’étude s’est particulièrement concentrée sur ce dernier écart, de même que la relation entre le nombre potentiel d’étudiants et le véritable nombre d’étudiants inscrits.

Leurs résultats indiquent que d’ici 2027, le nombre d’étudiants inscrits à l’université diminuera de 19,77%, passant de 275 177 à 220 764 en 10 ans. Le nombre de jeunes âgés de 18 ans diminuera également, passant de 269 092 en 2019 à 212 425 en 2027, une diminution de 21,06%. Les auteurs indiquent que les universités risquent de subir une pénurie d’étudiants, ou encore, d’un autre point de vue que les auteurs préfèrent, un surplus en termes de capacité dans les universités. Wu et al. suggèrent donc aux administrateurs de considérer la possibilité de fermer certaines universités jugées « non-efficace ».

Pour en savoir plus :

Wu, S. J., Chang, D. F., & Hu, H. (2019). Detecting the issue of higher education over-expanded under declining enrollment times. Higher Education Policy, 1-24.